08 mai 2012

Être ou ne pas être ganadero


Novillo d'Ángel Nieves García, Orthez 2009 © Frédéric 'Tendido69' Bartholin / Camposyruedos.com

Je viens de lire la nouvelle sur un blog espagnol : Ángel Nieves García vend sa petite ganadería Santa Coloma qu’il avait achetée à San Martín au début des années 2000. L’aventure aura finalement été de courte durée quand on l’observe sous l’angle du temps ganadero qui, forcément, est un temps long. La nouvelle ne va pas révolutionner le monde taurin ni l’apitoyer. Ángel Nieves s’ajoute à la maintenant longue liste de ganaderías qui rendent les armes face à… Face à quoi, au juste ?
La crise ? On imagine. Les débouchés infimes des petites ganaderías ? Certainement. L’épée de Damoclès qui oblige ces petits élevages à n’être jugé, critiqué, pendu, dézingué qu’au regard d’une seule course ? Orthez fut l’unique d’un Nieves qui en sortit bien déçu, comme nous d’ailleurs. Les excuses ne tiennent pas. Le débarquement titanesque des novillos la veille de la course (certains montaient au mur) ? Le manque de temps de récupération ? Tout cela ne compte pas finalement.
C’est triste une aventure qui s’achève. Quelle qu’elle fût. Ça enlève encore un peu de folie ou de romantisme à ce monde taurin qui en manque de trop.
Pour autant, l’annonce de la vente de cette ganadería pose aussi d’autres questions peut-être plus fondamentales pour le monde ganadero.
Aimer les toros est une chose, les élever en est une autre. Personnellement, j’ai mis du temps à comprendre tout ça. Je me souviens de ces premières visites au campo où nous alternions les grands noms de la cabaña brava avec les plus humbles. Ángel Nieves faisaient partie de ces derniers. Il croyait beaucoup à ses vaches mais il n’était pas ganadero. C’est difficile à écrire mais c’est ainsi. J’imagine que, durant cette petite dizaine d’années, il a appris le métier, a découvert qu’il fallait se méfier de ces animaux, s’est un peu fait la main. Mais il en faut plus au final pour élever des toros. J’écris ces lignes hors de tout jugement sur les critères de sélection des ganaderos. J’ai mes goûts en la matière, je respecte plus les choix de certains que d’autres mais il ne me viendrait pas à l’idée d’écrire par exemple que Victoriano del Río n’est pas ganadero. Petit à petit, au fil de mes tribulations camperas en Espagne et au Portugal, j’ai pu observer, certes peu, certes de manière toujours trop superficielle, le travail consistant à élever des toros. J’ai le sentiment qu’Ángel partait de trop loin. Pour mener une ganadería, il faut de l’argent et, si on l’a, il convient de s’entourer de personnes qui connaissent les toros ou être soi-même aguerri à la chose. Être aficionado ne suffit pas. Je serais un piètre ganadero, j’en suis certain. Avoir de l’argent ne suffit pas et l’exemple récent de Mariano Cifuentes est là pour le prouver. Il faut du temps. Ángel l’avait-il ? Le temps c’est de l’argent — c’est bien connu. Le temps de mener une vraie sélection, le temps de constater les résultats en privé, le temps de ne pas vouloir sortir trop vite en spectacle de premier plan, le temps de faire son autocritique. J’ai mis du temps à saisir tout cela, moi qui ne suis pas ganadero. La ganadería brava est tout sauf une improvisation ; c’est parfois un caprice mais qu’il faut pouvoir assumer à tous les niveaux. C’est là que c’est injuste pour Ángel. Pétri d’afición, passionné de Santa Coloma, il aurait mérité d’y arriver, peut-être plus que d’autres qui achètent du sous-Domecq de sous-Domecq en flinguant les vieux sangs ; d’autres qui s’en sortent parce que le fric, parce que Domecq, parce que c’est ainsi ; c’est injuste et ceux qui prennent les plus grands risques (Santa Coloma par San Martín) sont ceux qui logiquement nous quitteront les premiers.
¡Un abrazo Ángel!