17 mai 2012

Johnson vs. bravo


Pour Jérôme,


Qui a peur ?

Lui (la légende de la photographie annonce un novillo mais le doute quant au sexe de la bête est permis) à droite ou lui à gauche ? 

Une seconde après, il/elle a peut-être foutu le camp en ruant, il lui a peut-être sauté dessus. Mais à l’instant même où se fige la lumière, la peur est dans son camp, à lui. Lui n’est pas n’importe qui pourtant. 1,84 m, 110 kilos, du muscle à revendre en gros, le goût de la bagarre, on imagine. C’est ça, lui. Lui, c’est Jack Johnson. Il en a vu d’autres. Né noir en 1878 à Galveston (Texas), dans ce Sud dont il n’est pas exagéré de penser que même la poussière était raciste, Jack Johnson est devenu boxeur parce que 1,84 m, parce que 110 kilos, parce qu’il savait cogner. C’est pas son genre la peur.

En 1908, à Sydney, il assomme Tommy Burns au bout de 14 rounds et devient le premier noir champion du monde des poids lourds. A priori il semble que ce combat soit historique car les noirs n’avaient pas le droit de combattre de blancs dans la catégorie des poids lourds à cette époque. La nouvelle n’enchanta évidemment pas les « joyeux lurons » encagoulés de ce Sud autrefois esclavagiste mais toujours ouvertement assassin en ce début de XXe siècle, puisque durant la seule année 1908 les historiens relèvent 358 noirs lynchés en toute impunité. La victoire de Johnson a dû en agacer plus d’un quand, dans le même temps, elle devait remplir de fierté et d’espoir des millions de blacks.

La star blanche du monde de la boxe de l’époque se nomme James J. Jeffries… Johnson veut se le faire. En 1910, Jeffries ne combattait plus depuis six ans mais il fallait venger l’humiliation de 1908 ; la race blanche devait triompher de la négritude. Raté. Au 15e round, le camp du champion blanc jette l’éponge et le « match du siècle » annoncé se transforme en apogée de la carrière de Johnson. La nuit qui suivit le combat, d’autres pugilats plus sanglants éclatèrent, bilan : 25 noirs assassinés contre 2 blancs. Les mentalités ne vont pas aussi vite qu’une droite ou qu’un uppercut.

En 1916, Johnson voyagea en Europe et en Espagne. C’est cette année-là que fut prise la photographie, à Barcelone. 

À cet instant, la peur est dans son camp à lui. Dans ses pieds, dans ce cul en arrière, dans l’immobilité de la vaquilla ; c’est étrange de penser que Jack Johnson pouvait avoir peur.


Photographie extraite de la revue Toros y Toreros, n° 7, 18 avril 1916.