30 novembre 2012

Steak haché


Avec l’automne les feuilles tombent et les toros meurent.

Un coup de pistolet électrique entre les deux yeux, le bruit lourd et épais d’un bloc qui s’effondre d’un coup, des chaînes qui crissent, des hommes qui gueulent que c’est bon en regardant l’horloge. ¡Otra!

De haut en bas dans le cou. D’un geste bref mais appuyé, précis, millimétré, on achève, on prépare la suite. La viande. Ce n’est plus que ça maintenant : de la viande. La peau se tire, d’un coup comme sur les lapins ou presque. La tête tombe, coupée, tranchée. On la garde dans un coin avec les autres sur un sol de glaires et de caillots où le rouge n’est qu'un noir. 

On en fera du steak haché pour les hamburgers. Made in chez nous on lira sur l’emballage cartonné dégueulassé de ketchup, troué, baveux, jetable. À la fin on rote, c’est pas le steak c’est le coca.

Moreno de la Cova vient d’envoyer ses vingt dernières vaches Urcola au matadero.

29 novembre 2012

En peu de mots #15


Pays basque taurin

D’hier 
Avant l’arrivée, en 1998, de la soucoupe volante Illumbe — qui n’a jamais vraiment décollé, hein —, Saint-Sébastien accueillait les toros dans ses arènes néomudéjar d’El Chofre (1903 – 1973), d’où, au cours du «premier quart du XXe siècle», le photographe Gaston Bouzanquet rapporta ce précieux reportage

D’août prochain 
La nouvelle du retour des Cuadri à Bilbao m’a mis en joie ; je me vois déjà à l’apartado, vers midi autour de la fosse aux toros, puis à la course où, je l’espère, Vista Alegre aura troqué le sable «marron dégueu façon steak haché trop cuit» contre son gris cendré et retrouvé un président… à la hauteur de l’événement. À suivre.


Photographie Laurent Larrieu/Camposyruedos.com

28 novembre 2012

Citation (VIII)


« Quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : “Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?”, il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : “À quels enfants allons-nous laisser le monde ?” » Jaime Semprun in L'Abîme se repeuple, L'Encyclopédie des nuisances, Paris, 1997. 



27 novembre 2012

M – 678141




Ferruccio Lamborghini (1916 – 1993) et Eduardo Miura (1914 – 1996) étaient faits pour se rencontrer…


>>> Joe Sackey, Lamborghini Miura. Un beau monstre, ETAI, 2010.

Photographie Laurent Larrieu/Camposyruedos.com

26 novembre 2012

Ganaderías Orthez 2013


La commission taurine d'Orthez vient de communiquer officiellement les élevages retenus pour la journée taurine du 28 juillet 2013. C'est avec une joie non dissimulée que nous nous en faisons ici l'écho enthousiaste.

« La commission taurine d’Orthez a le plaisir de vous annoncer le nom des deux ganaderías retenues pour la journée taurine d’Orthez qui aura lieu le dimanche 28 juillet 2013 aux arènes du Pesqué :
— Corrida de Raso de Portillo (Santa Coloma par Dionisio Rodríguez) et
— Novillada de Hros. de D. Miguel Zaballos Casado (Saltillo).
La novillada sera cette année complète avec 6 novillos. »

Voilà un rendez-vous à ne manquer sous aucun prétexte tant l'intérêt sera soutenu tout au long de la journée. Nous aurons ainsi l'occasion de revoir les noirs Saltillo de Miguel Zaballos, qui nous avaient gratifiés d'une course passionnante à Céret il y a quelques années (et que l'on aperçut aussi à Carcassonne, en Crau et lors d'une concours arlésienne), et de découvrir, à l'âge adulte, les pensionnaires de Raso de Portillo, qui avaient donné lieu à deux novilladas dantesques à Parentis-en-Born.

24 novembre 2012

Une question noire


Céline disait que pour écrire il faut être capable de mettre sa peau sur la table, qu’il y a toujours un prix à payer. 
C’est ce à quoi j’ai songé en refermant Une question noire… Cet essai dans lequel René Pons s’interroge sur son amour de la corrida. 
Je vous imagine dubitatifs. Non… René Pons, dans cette cinquantaine de pages, ne vous donne pas les bonnes raisons d’aimer la corrida comme l'on vous donnerait les bonnes raisons d’acheter une lessive. 
René Pons s’est regardé dans le miroir, sans faire l’économie des aspects qui fâchent, sans faire l’économie du fond. 
La plume de René Pons court, limpide, fluide, et n'évite pas la question, à mon sens essentielle et à laquelle tout aficionado devrait avoir la lucidité de se confronter : la corrida est cruelle, violente et noire…
Sa peau sur la table, je vous dis…

« Ses adversaires trouvent la corrida cruelle et ils n’ont pas tort, puisque le mot cruauté est issu, l’étymologie nous le dit, d’une racine exprimant les notions de “chair crue, saignante” et de sang répandu. »
« La corrida, joyeuse et lumineuse pour la plupart de ses adeptes, se situe, pour moi, plutôt du côté de l’ombre. Derrière tant d’éclats c’est plutôt une nuit qui commence. » 

René Pons s’interroge beaucoup sur cette noirceur et sur bien d’autres aspects de sa passion taurine, sans jamais réellement parvenir à trouver les réponses à ses propres contradictions, les nôtres. C’est lucide, pertinent et remarquablement édité par l’Atelier Baie, comme toujours j’allais dire. Et c’est à lire absolument. 

Vous pouvez commander Une question noire directement chez l'éditeur, et écouter René Pons sur France Culture dans l'émission « Du jour au lendemain » d'Alain Veinstein :



23 novembre 2012

Un peu d'air


C'est l'automne ; un peu de campo vous fera le plus grand bien. Si, si, il faut s'aérer un peu malgré les impôts, le froid, les fêtes qui arrivent et le suspens à l'UMP… Faut dire qu'on est inquiets, houlala !

Voici donc un jeune exemplaire de Sagrario Huertas, Santa Coloma plutôt dans la ligne Sotillo Gutiérrez. Début octobre, à quelques heures de la despedida madrilène d'El Fundi, Pedro et moi participions à un rodéo automobile épique aux côtés de Víctor Benayas. Un immense souvenir sur lequel nous reviendrons. Le campo plat comme le dos de la main, la promesse de la chaîne de Gredos au loin et le soleil déjà rasant. Une merveille. 

Sortez donc prendre l'air.

21 novembre 2012

Nimeño II chez « les Pablo Romero »


Les Amis de Pablo Romero (Nîmes) nous transmettent le calendrier de leurs prochaines soirées.

Samedi 1er décembre 2012 | Espace Pablo-Romero – 12, rue Émile-Jamais à Nîmes | Entrée libre

Soirée hommage à Nimeño II pour notre dernier rendez-vous de l'année. Nous revivrons la carrière de Christian Montcouquiol, du mont Margarot à Madrid en passant par Nîmes, Bayonne…
En compagnie de son épouse et de ses enfants, nous accueillerons les témoins de cette époque : Jean-Marie Bourret, Dominique Vache, Michel Bouix, Jacques Boyer et Marc-Antoine Romero.

Samedi 19 janvier 2013 | Espace Pablo-Romero – 12, rue Émile-Jamais à Nîmes | Entrée libre

Thomas Thuriès, animateur du site Terre de toros, nous entretiendra sur l'évolution des encastes des taureaux de combat.

• En février, les dates et les invités restent à définir, mais nous préparons un gros week-end taurin (conférences, expositions…). Nous espérons la venue d'El Fundi et du ganadero José Escolar Gil.

17 novembre 2012

Combinaison gagnante


Ça n'avait pas commencé très fort en ce tant attendu samedi de septembre. En fin de soirée, les mines étaient longues et grises comme le ciel qui avait accompagné la journée. Les toros ont gâché la fête, et boudé l'anniversaire : 50 piges. Un demi-siècle à lâcher des toros dans les rues. C'est pas rien, c'est d'ailleurs la peña la plus ancienne de Massamagrell. Imaginez un peu des toros galoper dans la rue cinquante ans en arrière. Imaginez-vous l'Espagne de 1962, Valence, Massamagrell, un village entouré d'orangers et de champs. En 2012, tout paraît si simple ; en 1962, c'était une aventure, un défi au pouvoir en place, un vrai risque que de lâcher un toro dans une rue.

La Peña taurina de Massamagrell fête donc ses 50 ans. Trente-deux peñistas qui ont à cœur de marquer le coup, pour l'honneur et pour la fierté, dans un village qui compte une bonne douzaine d'autres peñas taurines. Alors on met les petits plats dans les grands et on se saigne aux quatre veines une longue année durant afin que le traditionnel jour de la peña se transforme en deux grandes journées de toros.

Pour l'occasion, ils ont choisi huit toros : deux Juan Pedro Domecq, l'élevage emblématique de cette peña, deux Conde de Mayalde et quatre Baltasar Ibán. Pour que le toro soit le roi, et lui donner l'avantage, ils ont réparti quatorze camions de sable sur l'immense parcours — saveur du passé, quand les rues du village étaient probablement en terre battue.

Le samedi, à 17 heures, tout était prêt. Et puis, rien, le champagne s'était éventé. Si le juanpedro avait un problème de vue, si le condeso manquait de jus, si son frère était neuneu et si l'ibán s'est éteint trop vite, qu'importe, le résultat fut le même, et l'analyser ne fait que jeter un peu plus d'huile sur le feu. Ça râle, ça jase, ça chambre comme de coutume ; le malheur des uns faisant le bonheur des autres dans un village où la concurrence taurine est de bonne guerre.

Aux moqueries et aux piques, les trente-deux peñistas n'ont qu'une réponse : il reste un jour et quatre toros. Et lorsque, très tard dans la nuit ou très tôt le matin, ils sont allés chercher quelques heures de sommeil, je suis sûr qu'ils ont fermé les yeux en pensant à ‘Fariseo’, ‘Rabosillo’, ‘Perdulario’ et ‘Lastimoso’. 

Dimanche 30 septembre, le soleil est revenu et divise le Camí la Mar en un sol y sombra de circonstance. Sur les coups de midi, les balcons sont garnis et la rue respire l'ambiance des grands jours. Le juanpedro et l'ibán font honneur à cette rue légendaire et les sourires reviennent. Les peñistas soufflent, sourient et retrouvent un peu d'espoir. Il reste encore l'après-midi ; il faut bien que le cadeau arrive. Le bous al carrer c'est un ensemble de facteurs, de paramètres, qui, mis bout à bout, peuvent assurer la réussite de la journée ou son échec. Les données de ce week-end me font penser à une combinaison de loterie : 50-32-14-30-2-8. Il me manque encore le numéro complémentaire pour peut-être toucher le gros lot. 

Le numéro manquant, je l'aurai à 17 heures. ‘Lastimoso’, de Baltasar Ibán, est le cadeau d'anniversaire de la peña, et le numéro 18 qu'il porte sur son flanc gauche est le chiffre qui me manque pour que la combinaison soit gagnante. Lorsque le cajón s'ouvre et libère ‘Lastimoso’, la caste et la bravoure inondent la grande rue de Massamagrell. ‘Lastimoso’ sort comme un obus, répond à tous les cites avec fougue, se retourne et poursuit sa proie. Rapidement le tri se fait parmi les recortadores. La seconde ligne des piétons recule de quinze mètres, alors qu'une poignée d'intrépides s'aventure sur le terrain de ‘Lastimoso’. Pendant une grosse demi-heure, le toro offre le spectacle de la bravoure aux yeux de tous, puis on décide de le changer de terrain, de l'emmener dans les ruelles du village et sur la place de l'église afin de voir s'il est capable d'y déployer le même allant. Pendant près d'une heure, ‘Lastimoso’ sera de tous les combats, la bouche fermée, chargeant avec vérité et générosité. Un grand toro. Un véritable cadeau comme on a peu de fois l'occasion d'en profiter. La peña jubile, ‘Lastimoso’ a justifié tous les sacrifices d'une année et à lui seul garantit le succès de ce grand week-end.

50-32-14-30-2-8… 18 : c'était la combinaison gagnante de ce dimanche, et le gros lot est tombé dans l'escarcelle de la Peña taurina de Massamagrell. ¡Enhorabuena a todos!

14 novembre 2012

Bis repetita


Alain Montcouquiol, Nîmes, 1969.
Il fait gris, la nuit tombe vite, trop vite, beaucoup trop vite, et les toros ont déserté les ruedos. Le moment est venu de reprendre le chemin des arènes… blanches pour effeuiller une nouvelle saison tauromachique sur papier.

Vendredi 16 novembre à 18 heures, l'Arène blanche et la librairie Torcatis à Perpignan vous invitent à rencontrer Alain Montcouquiol. Il présentera son recueil de nouvelles, Le Fumeur de souvenirs, publié aux éditions Verdier. Un livre où de « grands noms de la tauromachie, artistes de cinéma, mais aussi et surtout héros anonymes cabossés de la vie, rêveurs brisés, perdants admirables, se croisent autour des arènes mais pas seulement, de Madrid à Lisbonne en passant par Nîmes et le Michoacán. » 

C'est aussi l'occasion de rappeler qu'il y a plus de quarante ans le premier des Nimeños parlait déjà comme un livre. C'est aussi l'occasion de souligner que cet homme n'a pas varié d'un iota. Qu'il a conservé intacte la même flamme. Qu'il a gardé un état d'esprit identique, une même conduite et une égale philosophie au long des années. Et c'est suffisamment rare pour que l'on insiste. Autant de constance et de fidélité. C'est rare et essentiel. Nous vous engageons, une nouvelle fois, à consacrer un quart d'heure de votre précieux temps pour visionner le reportage proposé par l'Ina : Français dans l'arène.

Regardez et écoutez, vous ne le regretterez pas.

11 novembre 2012

Cuadri Tour 2013


Très jolie prochaine féria d’Azpeitia sur le papier :
— des Palha, qui furent très intéressants en 2012 ;
— des Pedraza de Yeltes, qui reviennent après leur succès de 2011, et, enfin,
— des Cuadri, qui se rapprochent lentement mais sûrement de la France puisque, outre le lot d'Azpeitia, la ganadería de Trigueros fera combattre un lot à Bilbao pour les « Corridas generales ».

A priori l’élevage ne devrait pas sortir en France en 2013, et c’est fort dommage même si une certaine commission taurine du Sud-Ouest avait des vues plus qu’appuyées sur le lot d'Azpeitia. Otra vez será, espérons-le.


Photographie Un Cuadri pour 2013 — Laurent Morincome/Camposyruedos.com

Photographies sans paroles (CX)


Évolution de la série « Bous al carrer » : trois nouvelles photographies…

10 novembre 2012

Caubère sur Inter


Philippe Caubère sur France Inter, invité de l'émission « Le grand entretien » de François Busnel.


09 novembre 2012

Raffinés


Le monde est plein d’aficionados qui se disent raffinés et puis qui ne sont pas, je l’affirme, raffinés pour un sou. Moi, votre serviteur, je crois bien que moi, je suis un raffiné ! Tel quel ! Authentiquement raffiné. Jusqu’à ces derniers temps j’avais peine à l’admettre… Je résistais… Et puis un jour je me rendis… Tant pis !… Je suis tout de même un peu gêné de mon raffinement… Que va-t-on dire ? Prétendre ?… Insinuer ?… 
Un aficionado scribouillard véritable, valable, raffiné de droit divin, de coutume, officiel, d’habitude doit écrire au moins comme dans 6toros6… pâmer sur la nuance… Mundomachin, le blog à Lulu, troufignoliser l’adjectif… hemingwaytiser… merde ! enculagailler la moumouche, frénétiser l’Insignifiance, bailler ténu dans la pompe, plastroniser, cocoriquer dans les micros…
Révéler mes goûts subtils… mes projets de conférences… Je pourrais, je pourrais bien devenir aussi moi, un styliste véritable, un académique « pertinent ». C’est une affaire de travail, une application de mois… peut-être d’années… On arrive à tout… comme dit le proverbe espagnol : « Beaucoup de vaseline, encore plus de patience, Éléphant encugule fourmi. » Mais je suis quand même trop vieux, trop avancé, trop salope sur la route maudite du raffinement spontané… après une dure carrière « de dur dans les durs » pour rebrousser maintenant chemin ! et puis venir me présenter à l’agrégation des dentelles… Impossible ! Le drame est là.

08 novembre 2012

Burlagrosmots


Que serait la tauromachie sans ses outrances ? « 6 poderosos toros de… », « Extraordinaria corrida de toros », « Cósmica actuación de los Bomberos toreros » et j'en passe. Je viens de découvrir qu'il existe une version française de Burladero.com. L'espagnole ne suffisait pas, il fallait nous livrer toutes ces infos essentielles piquées sur Mundomachin dans la langue de Molière. Et c'est encore une fois de José Tomás dont il s'agit. Décidément, certains vont penser que pour quelqu'un qui n'a pas assisté à la course du millénaire j'en fais des tonnes sur le sujet. Mais tout de même, il fallait oser titrer : « L'homme qui a superé le mythe ». Déjà, l'idée de « superer » un mythe j'ai du mal à comprendre. L'idée même de mythe affublée à un être humain, certes courageux, certes grand torero, n'arrivera jamais à me convaincre. Mais utiliser le verbe « superer » ça devrait être passible de la loi. Dans les sous-titres qui suivent, on peut même lire : « entre l'humain et le divine, là est José Tomás », signé par une certaine Magaly Zapata qui semble écri… heu, non traduire, avec ses pieds.

Sinon, sur la même page, à en croire le traducteur du site, on apprend que, « sollicitées par un groupe de Nîmois, les éditions Passiflore ont relevé le défi de réaliser en un temps record : Une corrida pour l'histoire. » Quand on voit la couverture, on se doute qu'ils ont été (trop) vite ; ils n'ont même pas eu le temps de faire un choix entre le noir et blanc et la couleur. Un mois pour faire un livre… Espérons seulement que l'on ne confiera pas aux traducteurs de Burladero.com la charge de traduire l'œuvre dans la langue du Quichotte.

05 novembre 2012

Film is not dead


« Ce qui manque à la photographie numérique est un sentiment de “gravité”. » Elliott Erwitt

 


Toujours en argentique, mercredi soir sur Arte : Le Siècle de Cartier-Bresson de Pierre Assouline.


04 novembre 2012

Zanzibar et autres lieux (II)


De « Mirandilla »…

Une journée à « Mirandilla », ça commence à La Cantina, qui n’est plus un café taurin aujourd’hui, mais où l'on peut toujours demander à la serveuse de faire signe lorsqu’elle verra Fabrice Torrito arriver. Il arrive. Elle fait signe. Il m’embarque pour aller découvrir les Marqués de Albaserrada… et les Tulio.

À partir de cette minute, Fabrice prend son temps — il est vrai qu’il faut au moins ça pour vivre en Andalousie. Il ne méprise aucune ignorance, écoute, explique, répond, ré-écoute, ré-explique, re-répond. Fabrice s’est fait une religion de défier l’ostracisme du campo ; il évoque un peu le passé difficile, mais parle surtout du futur, en utilisant souvent l’humble conditionnel.

Les raisons du culte qu'il professe à l'endroit des toros sont là devant moi : des vaches vraiment très belles ; des Tulio moins impressionnants que dans les illustrations du Tío Pepe, mais Tulio quand même ; des erales qu’on aimerait voir sortir en novillada prochainement et des novillos aux cornes étonnamment tricolores qu’il serait chouette de voir en corrida en 2013.

Évidemment, je ne saurais vous raconter (que ce soit en mots ou en images) tout ce qui m’a été généreusement offert pendant ces quelques heures par Fabrice et ses compagnons de route, Javi et Jean-Christian, qui font un bout de chemin avec lui — et dont les parcours individuels pourraient inspirer plus d’un scénariste en quête de sujet palpitant.

Il s’agit de minuscules choses qui pourront prêter à rire pour certains, mais qui, avec la magie du campo (parce qu’il y en a une, je vous le jure), trouvent leur place dans la colonne des « grands moments de l'existence ».

Jean-Christian, par exemple, a tout compris. Il a compris que j’avais 42 ans à la ville mais moins de sept à la campagne. Moi, je me moque de mon idiotie, mais pas lui. Il me propose même de ramener un cheval au patio. Celui qui a pris la cornada. Lui se charge de l’entier. Je traîne le pas pour que la petite balade dure plus longtemps. Jean-Christian s’ajuste à mon rythme et me laisser profiter.

Javier, quant à lui, sourit. Presque tout le temps. Des fois, c’est juste un rictus, parce qu’il a le soleil dans les yeux. Mais le plus souvent il sourit pour de vrai. Il y a juste un moment où il a cessé de sourire pour franchement éclater de rire, c’est quand je lui ai demandé s’il n’avait pas un peu peur à l’idée de « tienter » les deux Tulio. En fait, il ne m’a pas vraiment répondu. Mais il a fait oui de la tête.

Fabrice a une spécialité. Il repère les vaches invisibles qui viennent de mettre bas dans les buissons et s’arrange pour poser les crotales aux nouveaux-nés de la manière la plus douce possible. C’est l’époque des naissances au campo, alors on est parti sur les traces des nouvelles mères. On (enfin, je dis « on » mais c’est pas vraiment moi, hein, c’est surtout Fabrice qui l’a vue) en a trouvé une avec son petit veau né dans la nuit. On voyait encore des résidus de placenta qui pendouillaient. Et là, Fabrice me propose de descendre du 4x4 pour poser une boucle à ce petit toro marron, couleur miel. Sa mère n’était pas loin mais je n’ai pas eu peur. C’était mon toro ! Heu, enfin, jusqu’à ce que Fabrice pense à vérifier… et m’annonce que mon toro était une vache. Mais c’est pas grave. C’est ma vache. Et elle sera sûrement très brave. C’est la 183. C’est écrit dans le carnet du mayoral : « 9/10 – 183 – H – Mulata* – 9396 ». Ma brave est endormie au soleil. Je remonte dans la voiture. Pendant ce temps, Fabrice la porte et va la mettre à l’ombre. À cet instant, je me dis que tous les « zantis » du monde peuvent bien aller manger des cailloux.

Une journée à « Mirandilla », ça se termine à La Rociana. Et ça, c’est inénarrable. Je suis sortie le ventre plein et le gosier largement hydraté, un bouquet de thym à la main et des anecdotes (pas toutes comprises) plein la tête. En guise de paiement, j’ai dû dire que José Tomás était le plus grand torero de tous les temps et chanter Non, je ne regrette rien plusieurs fois — car les présents trouvaient que mon interprétation ne ressemblait pas assez à la chanson de Doña Piaf.

* Negra mulata : ce sera sa couleur quand elle sera grande. C’est comme ça que j’ai appris que les « erreurs » de robe sur les sorteos ne sont pas (ou du moins pas systématiquement) le fruit du manque de professionnalisme ou d’une déficience visuelle des organisateurs ; c’est juste qu’ils reportent la couleur indiquée sur les fiches officielles établies par les vétérinaires alors que la bête n’a que quelques mois.


… à « Comeuñas »

J’avais rendez-vous un certain jeudi 9 octobre (un jour qui, dans le calendrier de l’an de grâce 2012, n’existe pas), à Huelva (150 000 habitants) ou à Trigueros (7 500 habitants), avec Luis Cuadri que je ne connaissais pas (seul indice : il est grand). Rencontre improbable donc… D’autant que les gens, là-bas, ne pouvaient m’être que d’une aide très modeste dans la mesure où ils parlent une langue très énigmatique. Mais c’est mal me connaître que de croire que ces menus détails auraient pu m’arrêter. Je suis finalement arrivée à « Comeuñas » où Luis avait trouvé plus sage de m’attendre, et m’a accueillie passablement sidéré en me voyant débouler à pied.

Les trois heures qui suivirent furent particulièrement néfastes pour le reste de mes vacances. À partir du moment où je suis sortie de la finca je n’ai plus eu qu’une idée : y retourner. Un peu comme quand j’ai vu ma première course ; en sortant de Las Ventas, je n’avais pas pu profiter de Madrid faute de réceptivité. Une seule pensée m’obsédait : revoir une corrida. Là, je suis un peu passée à côté de Séville parce que le campo me bouffait les terminaisons nerveuses, et ce chatouillis ne m’a pas laissée en paix.

Luis m’a ramenée à Huelva. Sur le chemin du retour, on a parlé de José Tomás. Il est très gentil, Luis. Et c’est le seul Espagnol à ne pas avoir rigolé quand je lui ai dit que j’avais préféré aller voir la concours à Arles plutôt que J. T. à Nîmes. Plus tard, tout à fait sincèrement, mais aussi un peu en manière de remerciement, je lui ai dit que l’an prochain je suivrai les Cuadri et essaierai d’aller voir combattre les lots qu’il m’avait montrés. Mais ça, je crois qu’il s’en foutait un peu. Ce qu’ils aiment là-bas, à « Comeuñas », c’est élever les toros dont ils sont amoureux et les voir sortir comme ils les ont rêvés. Le reste… c’est plus trop leur affaire. Alors j’ai simplement dit : « Merci. »

Zanzibar

01 novembre 2012

Énormissime




Intervention de José Tomás (traduction Olivier Deck) lors de l'hommage rendu à José Pedro Prado ‘El Fundi’ le 26 octobre dernier au théâtre de Fuenlabrada :

« Bonsoir,
Je dois dire que, même si sur cette photo c’était la première fois que nous faisions le paseo ensemble, en vérité, ces dernières années, nous avons partagé l’affiche à l’occasion de nombreuses corridas de toros, et c’est cela qui justifie ma présence ici, pour cet hommage si sincère et émouvant que sont en train de te rendre les gens de ta ville, ceux de ton pays, ta famille, tes amis et tes compagnons d’arène. Je dois te dire que, comme le disait José Alfredo Jiménez, l'un des meilleurs compositeurs de rancheras, pour moi le meilleur : “Il ne faut pas arriver le premier, mais savoir arriver.” De plus, toi tu es arrivé par un chemin plein de courage et de valeurs, des valeurs telles que, entre autres, l’honnêteté, le dépassement, le sacrifice, la responsabilité, la sensibilité — que tu es en train de démontrer — et, surtout, la loyauté à ta profession. Je crois que ces valeurs ont toujours été très présentes dans la tauromachie, mais tous ne leur ont pas été fidèles comme tu l’as été. (El Fundi pleure, applaudissements) Le chemin d’un torero, me semble-t-il, n’est jamais facile. Le tien ne l’a pas été, comme nous l’avons vu tout au long de ce retour sur ta vie professionnelle proposé par Paco (Aguado – ndt), mais je crois que toi tu l’as mené d’une manière exemplaire, “en te grandissant”, surtout sur le plan artistique, comme nous avons pu le constater dans tes dernières faenas. Et pour en arriver là, il faut posséder un grand savoir, beaucoup de patience et une âme d’acier. Comme torero, comme compagnon de cartel, je veux te faire part aujourd’hui de mon respect et de mon orgueil. De mon respect… de mon admiration avant tout pour la manière avec laquelle tu as parcouru ce chemin ; de mon orgueil d’avoir pu le partager durant ces après-midis où nous avons effectué le paseíllo ensemble. Être de l’autre côté de la barrière — à attendre que sorte mon toro — et te regarder toréer aura été un véritable luxe pour moi… (applaudissements) Et je ne veux pas être plus long. La seule chose que je désire… c'est que ton âme d’acier trouve un nouveau chemin qui puisse l’alimenter. Félicitations Maestro. »

Le 16 septembre vu par Deck


Le fils de Joaquín Vidal m'a confié un jour à quel point son père lui avait appris à se méfier des choses qui font trop l’unanimité.
À ce titre, le texte d’Olivier Deck consacré à la corrida nîmoise du 16 septembre dans sa lettre à parution aléatoire (c’est vraiment bien, ça, l’aléatoire) est une bouffée d’oxygène, car c’est, à ma connaissance, le seul écrit publié à ce jour qui met vraiment les pieds dans le plat.
Pour vous abonner à la lettre aléatoire d’Olivier Deck, vous pouvez laisser votre adresse électronique à toros(at)latertulia.fr en remplaçant « (at) » par « @ » (mesure antispam). 
C’est évidemment avec l’accord de l’auteur que nous publions ici ces « Signes alarmants ». Pour le reste, et très au-delà de la perfection atteinte ce jour-là par Tomás, on pourra me raconter ce qu'on voudra, des toros il n'y en avait pas.


Signes alarmants

La corrida du 16 septembre n’a pas fini de faire couler de l’encre et de la salive. C’était au tour de Signes du toro de souffler sur l’incendie. 
Un documentaire bien ficelé, très correct, grand et bon public, qui revient sur la grande Vision collective nîmoise. On y retrouve le florilège des belles passes de l’artiste, les petits toros oblatifs, on n’y voit pas une pique — juste une brochette de picadors hilares appuyés à la barrière, et un commentaire laconique sur le manque de bravoure du toro couard gracié, assorti de l’assurance qu’on ne peut en vouloir au torero (pourtant pourvoyeur et utilisateur de l’animal en question…) — et surtout, les signes conséquents de cet événement certifié historique ne sont à l’avantage des thuriféraires. Comme si cette course ne souffrait aucune controverse.

Comme si elle ne soulevait pas des questions, des inquiétudes pour l’avenir de la corrida, des commentaires sur le gros du public qui suit et adule José Tomás. Comme si elle n’était pas le sacre de la « toréabilité », qui est pourtant — tant de plumes l’écrivent — la pire des menaces pesant sur l’avenir de la Fiesta. Ni José Tomás ni le G10 n’ont empêché la fonte du public des arènes. Et seul José Tomás peut faire du José Tomás. Impasse. Personnellement, j’avais fait le choix de ne pas assister à cette course, comme Ulysse se fit attacher au mât de son navire pour résister au chant des sirènes. Choix sans regret. Pas d’héroïsme non plus. 

José Tomás est sorti sept fois par la grande porte de Madrid. Ces choses-là ne se volent pas, Las Ventas n’est pas L’Alpe d’Huez. 
On peut voler, semble-t-il, sept Tours de France, pas sept « grande porte » madrilènes. José Tomás a su gagner le respect des aficionados, aujourd’hui il est ailleurs. Où ? Je ne puis le dire, je ne l’y suis pas. 

Il a remplacé la véritable tension de l’Art de l’arène par une tension d’apparât. La seule tension qui vaille — à mon sens — se fonde sur la dangerosité (peligrosidad), l’impression du danger. Elle vient du toro. La dangerosité, c’est tout l’inverse de la servilité. Ce n’est pas son corps que José Tomás laisse à l’hôtel, c’est hélas une certaine idée du toro brave. Son toreo d’épure, de cadences sublimes, a besoin qu’on le serve. L’opposition en est réduite à sa portion congrue, nous sommes aux portes du cirque, du théâtre. On parle d’un récital. C’est si loin de la plaza de toros. Là où les hommes combattent le toro.

Olivier Deck